Dès l’avènement du nazisme, la fine fleur européenne de la littérature et de l’art s’exile dans le Midi de la France. Livres et expositions se penchent sur la décennie 1933-1943, sombre mais culturellement fertile.
Sanary Sur MerSur les pas d’artistes et écrivains exilés
1933-1943 : La Côte des étrangers
Sanary-sur-mer : l’exil au paradis ?
Peu de gens savent qu’Aldous Huxley a écrit le Meilleur des Mondes et Bertolt Brecht achevé l’Opéra de Quat’Sous à Sanary-sur-Mer. A partir de 1933, écrivains, artistes, opposants politiques allemands ou autrichiens affluent dans ces petits ports entre Marseille et Nice, tels Bormes-les-Mimosas, Les Lecques, Saint-Cyr-sur-Mer… Une trentaine d’exilés jettent l’ancre à Sanary, surnommée “Capitale de l’exil artistique et littéraire 1933-1940”. Sur huit kilomètres, le Parcours balisé des Exilés commence ainsi devant les cafés du port où se réunissaient Moïse Kisling, Stefan Zweig, Erich Klossowski, Friedrich Wolf, Alfred et Friedel Kantorowicz. Klaus Mann, qui a rejoint son père Thomas Mann, lauréat du prix Nobel de littérature, termine d’écrire Mephisto à l’Hôtel de la Tour voisin. Depuis ce poste de guet historique attenant à l’établissement, le visiteur domine la colline où vivait Alma Mahler-Werfel non loin de Lion Feuchtwanger, et la mer miroitante promesse de départ.
Marseille, le port de tous les possibles
Freiheit oder Tod. En 1940, Marseille reste le seul grand port de la « zone libre » de France encore relié au monde. D’innombrables candidats à l’exil, menacés par les nazis et le régime de Vichy, arrivent gare Saint-Charles. Mais la capitale phocéenne se révèle une souricière: il faut des papiers pour y accéder, y résider, la quitter, embarquer… Les queues s’allongent devant les consulats, comme le consulat américain, établi Château Pastré à Montredon. Varian Fry, journaliste américain, débarque le 14 août 1940 missionné par le Centre Américain de Secours (Emergency Rescue Committee) avec une liste de 200 noms à exfiltrer d’urgence. Devant la Préfecture, une place lui rend hommage, ainsi qu’au consul tchèque Vladimir Vochos, une des nombreuses personnes qui vont aider ce juste, grâce à de faux papiers, des dons, d’innombrables requêtes à arracher 2000 personnes à la mort. Parmi elles, les plus grands noms de la littérature et de l’art.
C Hotel Carre Du Vieux Port Ex Hotel ContinentalLa partie de cartes des surréalistes
En 1924, l’écrivain André Breton définit le surréalisme : “Un automatisme psychique pur, par lequel on se propose d’exprimer… le fonctionnement réel de la pensée”. Lorsqu’il arrive à Marseille en octobre 1940, avec son épouse l’artiste Jacqueline Lamba et leur fille Aube, un grand nombre de participants à ce mouvement artistique l’ont précédé.
Certains, comme Max Ernst, logent Villa Air-Bel, à la Pomme, siège du Centre Américain de Secours. C’est à l’occasion d’une journée dans ce « château Espère-Visa » que huit artistes et Varian Fry réinterprètent le Tarot de Marseille. André Breton et Jacqueline Lamba donc, mais aussi André Masson, Oscar Dominguez, Jacques Hérold, Wifredo Lam et Victor Brauner remplacent les arcanes habituels par Freud, Baudelaire ou Lautréamont. L’œuvre est conservée au Musée Cantini, au fonds surréaliste particulièrement riche : on y verra aussi dans un autre style, une toile de Balthus, le fils d’Erich Klossowski alors en exil à Sanary.
R/M 2Créer pour résister : le site-mémorial du Camp des Milles
A l’aube de la Seconde Guerre Mondiale, les exilés germanophones deviennent indésirables et le Midi inhospitalier. De nombreux intellectuels et artistes sont incarcérés au Camp des Milles près d’Aix-en-Provence (1939-1942) le dernier grand camp français d’internement et de déportation, aujourd’hui accessible au public. Parmi les trois mille détenus, on comptera Max Ernst, Wilhelm Herzog, Hans Bellmer ou Lion Feuchtwanger dont la photo derrière les barbelés indignera le monde. Ils entreprennent de « résister par l’esprit » et laissent des témoignages toujours visibles. L’écrivain et pacifiste Friedrich Wolf y sera interné, et libéré en 1941 sur intervention de l’URSS. Franz Hessel n’aura pas cette chance : affaibli par sa détention, il mourra à Sanary le 6 janvier 1941. Franz Hessel était le père de Stéphane Hessel : son idylle avec sa femme Helen inspirera à François Truffaut son film « Jules et Jim ».
Tuilerie Camp des Milles 






